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Restauration italienne : la déferlante ne faiblit pas

Publié le 16/02/2022

Difficile de ne pas s'en apercevoir quand on arpente les rues de Paris. Il suffi t de lever la tête pour voir surgir les enseignes dont le nom fleure bon la Méditerranée, et plus particulièrement l'Italie. Le phénomène n'est pas nouveau -L'Auvergnat de Paris s'en est déjà fait l'écho dans différentes éditions - mais il semble atteindre son paroxysme, comme si la gastronomie italienne en France était à son apogée. Le tsunami de trattorias, pizzérias et autres établissements de chaîne à l'instar de Volfoni ou Del Arte, ne semble pas faiblir. La clientèle trouve plus facilement une burrata des Pouilles qu'un œuf dur mayonnaise ; à croire que la France entière a embrassé l'Italie puisque ledit tsunami poursuit sa route un peu partout dans nos contrées.

Armand Taïeb, fondateur il y a 22 ans du réseau Fuxia qui compte aujourd'hui 18 unités à Paris et en province, a constaté l'évolution de la gastronomie italienne dans le paysage des CHR français. À Brest (Finistère), Fuxia compte deux restaurants dans une ville où non seulement des indépendants, mais aussi d'autres enseignes comme Del Arte sont déjà implantées. Pour Armand Taïeb, la restauration italienne doit son succès à son évolution, avec l'apparition de restaurants hybrides capables de répondre à tous les moments de consommation, de l'aperitivo en passant par le déjeuner. « La restauration italienne comprend aujourd'hui beaucoup d'intervenants, mais d'un point de vue business, les parts du gâteau sont de plus en plus petites » , explique-t-il, malgré les beaux ratios que connaît le secteur. Ce restaurateur chevronné nuancerait le postulat selon lequel les consommateurs sont les premiers demandeurs de plats italiens. Pour lui, l'offre est responsable de la demande et non l'inverse. « Les gens ne veulent pas spécialement manger italien, ils le font parce que l'on trouve plus facilement des pizzas et des pastas que du bœuf bourguignon. La renaissance des bouillons montre bien qu'il y a pourtant une demande », commente Armand Taïeb, avant de saluer le rôle fondamental du groupe Big Mamma et de ses trattorias géantes, qui « ont réinventé le métier » en introduisant de la qualité là où, parfois, elle tendait à s'effacer au profit de la rentabilité.

Le chef Denny Imbroisi, à la tête de quatre affaires, parmi lesquelles notamment le bistrot franco-italien IDA et les restaurants Epoca et MALRO, ne partage pas le même avis. « La cuisine italienne, c'est comme la cuisine française : il n'y a jamais trop de restaurants ou de brasseries. Je trouve donc que le développement de la restauration italienne est positif, il y a de la place pour tout le monde. Si les clients sont au rendez-vous, c'est qu'il s'agit d'une cuisine lisible, qui fait voyager, qui fait rêver tout en proposant des produits sains et de qualité », détaille le chef italien. Les entrepreneurs de la restauration ont bien compris le potentiel que représente la gastronomie italienne.

Le succès tonitruant du groupe Big Mamma, la conversion de certains restaurants du groupe Garry Dorr (le restaurateur est à l'origine des enseignes The Little Italy et The Brooklyn Pizzeria) en pizzérias et plus largement la multiplication des trattorias indépendantes dans la capitale corroborent ce constat. D'autres restaurateurs bien connus, à l'instar de Laurent de Gourcuff (Bambini et Gigi), Philippe Baranes (Amaro) ou encore Hugues Courage (Marcella et Cin Cin), ont tous choisi de passer à l'heure italienne.

L'indétrônable pizza

Si les plats traditionnels à base de pâtes ou de mozzarella figurent parmi les best-sellers des trattorias, la pizza fait figure d'éternel numéro 1. « Les Français en consomment davantage que les Italiens », résume Bernard Boutboul, du cabinet Gira Conseil. Il n'en a pas toujours été ainsi. « Quand j'ai ouvert, il ne fallait surtout pas faire de pizzas, c'était has been , se souvient Armand Taïeb . Aujourd'hui, ce plat est devenu incontournable grâce notamment à la hausse de la qualité des ingrédients, comme la farine ou la sauce tomate. » Assurément, la pizza ne connaît pas la crise. « C'est le plat le plus consommé par les Français. Quand c'est bien fait, c'est excellent. D'ailleurs, je trouve qu'on mange de meilleures pizzas à Paris qu'en Italie. Ici, on trouve des pizzaïolos de grand talent ; je pense notamment à Julien Serri ou Peppe Cutraro », ose Denny Imbroisi. Ce dernier souligne la montée en gamme des ingrédients, avec l'apparition de la fiore di latte venue pourfendre la mozzarella caoutchouteuse d'industriels peu scrupuleux.

Pour autant, la hausse de la qualité ne s'est pas traduite par une baisse des marges du côté des restaurateurs. En effet, les grossistes et autres distributeurs ont suivi le rythme des ouvertures en inondant le marché de produits italiens, ce qui mécaniquement limite les coûts des matières. « On n'économise pas sur un kilo de farine ou de mozzarella. Les restaurateurs qui achètent à 10 ou 20 centimes de moins au kilo n'ont pas l'amour de ce métier. On voit qu'aujourd'hui des jeunes se lancent et qu'ils ont une vraie conscience professionnelle » , illustre-t-il. On ne plaisante pas avec la pizza donc, et les consommateurs ne sont pas dupes. Mais c'est un créneau qui attirera toujours les restaurateurs quel que soit le niveau de qualité de leurs produits. « Les investisseurs savent que la pizza réalise une belle marge, témoigne Sébastien Mancuso, à la tête de la trattoria Guise. Dans notre restaurant, les pâtes et les pizzas représentent 70 % des ventes et, en 2021, c'est le plat que nous avons le plus vendu. Toutefois, ce n'est pas ce qui représente le plus en volume de recettes, mais en volume de ventes. » Pour autant, si la restauration italienne vit ses heures de gloire, elle devrait, comme toute chose, connaître ses limites. Outre la défection des consommateurs, la saturation de l'offre pourrait porter préjudice aux restaurateurs qui se lancent dans l'aventure.

Paris abrite aujourd'hui 1 500 restaurants italiens. « La gastronomie italienne est un peu dénaturée. Ce qui est dommage, c'est que l'on trouve de la burrata partout et que Cyril Lignac trouve légitime d'ouvrir un restaurant italien » , déplore Sébastien Mancuso. Ce dernier estime ainsi qu'à terme, il ne restera guère de place « que pour ceux qui font de la qualité ». Récemment, Stéphane et Jérôme Dumant, qui animent L'Auberge bressane ou encore Aux Crus de Bourgogne, ont revendu leur Pizzeria d'Auteuil et résolument transformé l'offre culinaire du Paris 16, établissement qui proposait auparavant des plats italiens. « On assiste à une saturation de l'offre et, aujourd'hui, les restaurants italiens pullulent. Dans le 16e arrondissement, une forte concurrence s'est développée sur ce créneau. De mon côté, je souhaitais me recentrer sur la restauration française, non pas parce que la restauration italienne ne fonctionnait plus, mais parce que j'avais envie de changement après 25 ans de Pizzeria d'Auteuil », dévoile Jérôme Dumant. Même son de cloche chez Armand Taïeb qui se concentre actuellement sur la commercialisation, en GMS, de produits italiens sous la marque Fuxia. Denny Imbroisi, quant à lui, participait récemment à l'ouverture du restaurant italien Cucùcina à Val-d'Isère (Savoie). Il rappelle que « quand un restaurant italien ouvre chaque jour, trois autres ferment leurs portes », relativisant ainsi l'idée que le marché serait saturé.

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